mardi 1 mai 2018

PREMIER MAI

Hé bien, cinquante ans après, je suis allé manifester. C’était à Bayonne et à l’initiative de la CGT. Y’avait du monde, le spiqueur en bégayait de bonheur. Moi, planqué derrière ma clope j’observais.

Première remarque : manif de vieux. Certes, il y avait quelques enfants, de ceux qui font les belles photos de manifs unitaires, y’avait leurs parents trentenaires mais, dans l’ensemble, le manifestant de base était retraité ou avoisinant. Je sais bien que ça va de pair avec une tendance nationale et régressive mais il suffit au patronat d’attendre, l’adversité disparaitra toute seule. Elle disparaîtra avant les problèmes ce qui donnera l’impression qu’ils ont été réglés. On en a déjà parlé : diviser pour régner marche bien, et surtout diviser jusqu’au dernier atome, l’individu. La pub affirme que « seul je suis plus beau », la lutte nous dit que « seul, je suis plus faible. » Inconsistant. Moquez vous des soixante-huitards, quand le dernier disparaitra disparaitront aussi les cortèges de manifestants.

Seconde remarque : le bilan de 68 est catastrophique. Le mouvement politique s’est dilué dans une compassion qui va de pair avec les chats de Facebook. Dans un mouvement politique, on attend d’abord les réponses à la seule question politique qui vaille : comment répartir les gains de la plus-value liée au Travail ? Tout le reste est littérature. Ce matin de luttes à Bayonne, deux questions m’ont été posées : que pensais je de l’accueil des migrants ? et que pensais je de la petite Navarraise qui a servi de sex-toy à une bande d’Andalous ? En fait, c’était la même question : que faire avec ceux qui quittent leur territoire ? Je n’ai même pas essayé d’expliquer que la manif était partie de la gare et qu’il y avait une lutte à soutenir. Ou pas. Et que cette lutte n’avait rien à voir avec les questions posées.

La bande son était, à mes yeux, bien choisie. Che Guevara, Bella Ciao, souvenir de l’antifascisme italien, La Cucaracha, hymne de la révolution mexicaine de 1911, il n’y avait rien à dire quant à la légitimité des choix révolutionnaires. C’est ma copine russe qui m’a mis la puce à l’oreille en me demandant ce que la révolution avait à voir avec des rumbas. C’était historiquement juste et politiquement discutable. Ma mémoire chante en sourdine…Potemkine. Quand est arrivé Hegoak, je me suis demandé si cette mélodie aurait entrainé les soldats de l’an II à l’assaut du moulin de Valmy. Je n’ai pas eu à attendre bien longtemps. Lors du rassemblement final, sous les fenêtres du Maire, la manifestation a entonné le Vino Griego, l’hymne de l’équipe locale de rugby. J’avais connu la CGT de Séguy et Krasucki, j’étais avec la CGT de Martinez dont le nom fleure bon la rumba, ce qui répondait à ma copine.

On peut disserter à l’infini sur cet échec patent du mouvement de 68. Il paraît que Régis Debray se pose aussi la question. Je crois d‘abord qu’on était une bande de rigolos, plus aptes à jeter des mots que des grenades ; les pavés, c’était entre les deux. En regardant passer le bus électrique de l’agglo, j’ai furtivement pensé au bus à plateforme auquel Roger et moi avions mis le feu rue des Saints Pères. Face à la foule des papys encasquetés, ça pouvait passer pour un acte révolutionnaire. Nous étions tous des Juifs allemands pour soutenir celui qui quarante ans plus tard serait le copain de Bayrou.

Notre vice, c’était de changer la vie. Alors que la politique, c’est avant tout donner la mort.

Ne hurle pas, camarade. C’est la base même de l’action politique. Tiens ! tu te souviens ? Macron a pas déclaré sa candidature que des centaines de « marcheurs » se précipitent à la recherche de postes, surtout de députés.

Imagine une vraie opposition de mecs déterminés. Déterminés à tuer. Pour les candidats à la députation, ils savent que, face aux postes et aux dix mille euro par mois, il peut y avoir une bastos dans la nuque. Franchement, tu crois qu’ils se précipiteraient pareil les sauveurs de la République ? Même Emmanuel. Mieux protégé, le chef, mais pas invincible.

On a changé la vie. Aux marges. Je pensais à l’Espagne aujourd’hui. Combien de manifestants pour lutter contre un pouvoir corrompu et un système injuste ? Et combien pour protester contre un viol, certes dommageable, mais pas essentiel ? Le résultat de 68, il est là, dans cet oubli des valeurs de lutte pour la survie des plus faibles au profit  de vagues compassionnelles anecdotiques, parce que singulières.

Stephen Jay Gould était professeur à Harvard, l’un des pôles du conservatisme américain. Dans son bureau, au mur, il y avait un drapeau rouge, déchiré et un peu sanglant, le drapeau que portait son grand père lors d’une manif du Premier Mai où il fut blessé par la police. J’ai le droit de choisir mes anecdotes, non ?


On en reparlera…

1 commentaire:

  1. tu es trop fort mon gat! ne change pas! merci pour tes proses et tes humeurs.

    RépondreSupprimer