jeudi 5 octobre 2017

LES DONNEES PAS DONNEES

Il s’appelle Harari et il est historien. Il a fait un carton avec son livre Sapiens, une brève histoire de l‘humanité. Ecrire une histoire pour un historien, ça semble normal. Il a décidé de la faire commencer quand nous sommes apparus, nous Homo Sapiens. C’est gonflé vu que nous ne sommes qu’un produit. C’est comme dire que l’Europe commence avec la féodalité. Bon, ça a plu. Les lecteurs aiment bien qu’il y ait un point de départ identifiable.

Et donc, Harari va plus loin. L’historien se transforme en voyante pour nous dévoiler notre futur. Et il en oublie l’Histoire. Il regarde, soigneusement je présume, et les graines qu’il voit dans notre société, c’est le monde des Big Datas et des algorithmes. L’historien se précipite dans la doxa et oublie sa discipline. Les Big Datas sont une construction non intellectuelle, l’idée selon laquelle le savoir passe par l ‘accumulation des données. On entasse, on entasse, puis on cherche à analyser. Comment ? Aujourd’hui, c’est encore par la quantification des occurrences. Et pour ça, faut des algorithmes. D’où l’idée, un peu benête que les futurs maitres du monde seront les constructeurs d’algorithmes et leurs employeurs.

J’ai envie de dire à Noé Harari : c’est comme ça que marche l’Histoire ? Il faut beaucoup de données pour l’écrire ? C’est vrai que Duby a expliqué un jour la chance des médiévistes qui pouvaient bâtir une carrière sur un seul document. Mais l’accumulation a t’elle une valeur épistémologique ? Et surtout, les historiens utilisent ils les données sans une critique préalable ? Accumuler des données non pertinentes, est ce chercher du sens ?

Obsédé par sa logique quantitative, le capitalisme ne sait pas en sortir et croit, dur comme fer, qu’il faut accumuler quelque chose (en l’occurrence des données dont personne ne sait exactement ce que c’est) pour progresser. Et donc, on accumule, on construit d’immenses bunkers aux noms poétiques (informatique en nuage), sans voir que l’accumulation est sans fin et rendra l’analyse impossible, même avec des algorithmes. C’est une course sans espoir où les plus gros, conduits à des investissements de plus en plus lourds et de moins en moins pertinents, se casseront les dents.

Prenons un exemple simple. Voici quelques années un spécialiste du tourisme, statisticien de haut vol (vraiment) m’affirme avoir travaillé une pleine semaine pour identifier les destinations qui marcheront dans les vingt ans qui viennent. Et donc, en dix minutes sur un coin de table, j’ai fait ma propre liste basée sur mon expérience, ce qui se vend depuis vingt ans. Toutes choses égales par ailleurs, on avait les mêmes noms. Ceci n’a aucun intérêt. J’ai donc cherché un fil conducteur et j’ai remarqué que beaucoup de ces lieux étaient des paysages du grès. De l’ouest américain au Hoggar, en passant par le Rajasthan ou la Haute-Egypte, le grès escorte les touristes. Il est suivi de près par les roches métamorphiques (la Corse, par exemple) et mon classement mettait en dernière place les paysages du secondaire rabotés par les glaciers. Ça vaut ce que ça vaut, mais ça marche et c’est plus rigolo à faire que se palucher des tableaux Excel.

A partir de là, on peut se demander pourquoi d’autres formations géologiques ont un succès différent, identifier les oiseaux comme élément déterminant dans le succès des marécages, ou les parois calcaires dans le tourisme d’aventure. Bref, construire une sémiotique qui dira que l’amateur de grès rose d’Alsace sera content de le retrouver en Navarre, par exemple. Mais c’est plus compliqué à faire que de compter les vues obtenues par une page pour la catégorie des mâles de plus de cinquante ans.

Harari embauche les neurosciences dans son analyse. Et il est exact que le peu qu’on sait du fonctionnement cérébral laisse à penser que la masse de données va être énorme. Sauf que…Lorsqu’un grand savant comme Changeux travaille sur le cerveau, il commence par cibler les gens qui utilisent leur cerveau. Pas les informaticiens, ni les financiers. Les peintres, les écrivains, ceux qui créent, ceux qui n’ont que faire d’un algorithme. Et il obtient des résultats intéressants, voir Raison et Plaisir.

Mais c’est vrai que Changeux est chiant. Il donne une importance forte à la mémoire et à l’expérience. C’est la prime aux vieux et ça, ça ne marche qu’en Asie. Ce qui serait une bonne raison d’accorder encore plus de place à sa réflexion vu les résultats obtenus par les sociétés et les pays d’Asie. Mais c’est vrai aussi que les Big Datas, c’est nouveau, c’est moderne, c’est valorisant, ça n’a que faire de l’expérience dont le seul rôle pourrait être de nier leur pertinence qui rend pertinents les salaires qui vont avec.

Harari nous dit que le monde va se complexifier en simplifiant et automatisant la pensée. Lui, l’historien, ne voit pas que l’automatisation, c’est la négation de la pensée tout autant que la simplification. Que de ces processus, il ne peut advenir que des dépenses sans fond et un gain insignifiant. Et qu’il s’agit d’un sujet littéraire : on pouvait penser que le capitalisme scierait la branche qui le supporte alors qu’il bâtit le mur sur lequel il va se fracasser. C’est à une analyse métaphorique qu’il faut se livrer.

Mais, dans tous les cas, ça va faire mal.

On en reparlera…


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